Réformer la société. Voilà un sujet de réflexion plus qu’intéressant, qui trouve un écho différent selon la personne qui y songe. Pourtant, c’est exactement de ce postulat que part l’intrigue de Persona 5. Lors de sa sortie originale en 2017, le titre d’Atlus avait déclenché un raz-de-marée absolument incroyable tant les éloges à son encontre pleuvaient de toutes parts. Toutefois, il ne pouvait séduire qu’un public de niche, la faute essentiellement à une localisation uniquement anglaise dans nos contrées. Un sacré obstacle pour les non-adeptes de la langue de Shakespeare, tant les dialogues sont nombreux et cruciaux pour la compréhension du scénario complexe du jeu. Aujourd’hui, c’est une version « améliorée » qui s’offre à nous, portant sobrement la mention « Royal » et apportant avec elle la traduction française tant attendue. Mais pas que…
Cette critique a été réalisée à partir d’un version Nintendo Switch offerte par l’éditeur !
Bien plus qu’une version « améliorée » !
Avant de faire le tour des nombreuses qualités du titre (pour ma part, tout du moins), il convient d’expliquer plus en détail ce que signifie le sobriquet « Royal » et pourquoi cette version mérite toute votre attention plutôt que l’originale de 2017.
Pour commencer, le titre est entièrement localisé en français, et rien que pour cette raison, craquer pour The Royal est suffisant en soi. Mais comme Atlus a coutume de le faire pour chacune de ces versions « upgradées », bien d’autres ajouts viennent fleurir ce contenu déjà généreux. Ainsi, deux confidents sont rajoutés à l’histoire, le Docteur Maruki ainsi qu’une nouvelle étudiante, Kasumi Yoshizawa.
Ces deux nouveaux protagonistes sont intégrés à l’aventure d’une main de maître et apportent un nouveau souffle sur le scénario qui surprendra même les connaisseurs de la mouture 2017. Pour finir, l’équilibrage du jeu a été revu et diverses corrections ont étés apportées au système de jeu. Ainsi, certains défauts de la version originale se sont vues gommées ici dans le but d’optimiser les combats et de faciliter certaines démarches qui étaient plus fastidieuses avant.
Cependant, cet équilibrage mieux cadencé réduit un peu la difficulté du titre. Il conviendra donc pour les challengers en recherche de défi de corser un peu les combats. Pour les autres, le jeu se laisse déguster tant il est prenant et enrichissant. Clairement, cette version « Royal » est l’ultime déclinaison de Persona 5. Si vous deviez craquer, ce serait pour cette version et pas une autre.
Un monde d’adultes…
Penchons-nous plus en détail sur l’essence du jeu. Que nous raconte Persona 5 Royal ? L’intrigue nous place dans la peau de Ren, jeune étudiant japonais. Un soir, Ren assiste, médusé, à une agression d’un homme ivre sur une femme. Notre héros tente de s’interposer par pur instinct de justice, tandis que l’agresseur, tellement ivre, trébuche seul et se blesse. Fou de rage, il contacte la police et affirme que c’est Ren qui l’a blessé. La femme victime, terrorisée et vraisemblablement sous l’emprise de l’agresseur, ment elle aussi et accuse le jeune homme. Ce dernier se voit donc arrêté et placé sous tutelle à Tokyo, l’obligeant à quitter son foyer et voyant son casier judiciaire souillé à jamais.
Voilà le début de l’intrigue : une injustice. Ainsi commence le jeu et ainsi se poursuivra-t-il, car là est tout le message de l’oeuvre : les adultes sont tous pourris. Profiteurs, manipulateurs, corrompus, menteurs, agresseurs… Le monde rationnel et froid des adultes se heurte à l’idéalisme et à la fougue de la jeunesse, avec toujours le même constat à la clé : les corrompus l’emportent toujours.
Le titre nous propose d’assister à des « petits bouts de vie », à apprécier les petits instants.
Notre héros débute donc sa nouvelle vie de lycéen dans un environnement inconnu, tout en subissant les quolibets de ses nouveaux camarades, le considérant comme un paria. Très vite, une nouvelle injustice voit le jour, un des professeurs du lycée a des comportements étranges vis-à-vis des élèves. C’est précisément à ce moment-là qu’un nouveau pouvoir émerge chez notre héros : celui de pouvoir visiter un autre monde, le Métavers.
Dans cet autre monde, psychique, il est possible d’entrer dans les cœurs des gens (même et surtout des adultes corrompus) afin de changer leur psyché et les forcer à avouer tous leurs crimes. Sorte de confession forcée, cette méthode deviendra vite l’apanage de nos héros qui s’évertueront par la suite à « voler les cœurs » des plus grandes crapules du japon dans le but de sauver un maximum de victimes. Ces criminels échappent depuis toujours à la loi, et c’est dans cette optique que nos héros agissent : désormais, ils appliquent « leur » justice.
Comme vous vous en doutez, le scénario de Persona 5 Royal se veut complet et complexe. Possédant l’un des meilleurs « plot twist » que je n’ai jamais vu dans un J-RPG, l’histoire nous est contée d’une bien belle manière et parvient à jouer avec brio avec les émotions du joueur. Les personnages et antagonistes possèdent tous une écriture soignée et la traduction française, quoi qu’imparfaite, parvient à bien retranscrire les moments les plus bouleversants. D’ailleurs, il est à mettre au crédit des traducteurs l’effort d’uniformiser les références purement japonaises avec un public plus occidental.
Life in High-School !
Persona 5 Royal décompose sa progression en deux temps bien distincts. Dans un premier temps, vous jouez une vie du parfait petit lycéen. Ainsi, vous allez à l’école, vous vous trouvez un job à temps partiel, vous révisez vos cours ou passez du temps avec vos amis pour renforcer vos relations. Tout est fait pour vous plonger dans le quotidien d’un Tokyoïte et l’immersion dans ce japon actuel est grisante. Chaque journée vous propose une ou deux actions à réaliser, il convient alors de bien choisir comment dépenser votre temps. Livre un livre ? Regarder un DVD ? Flâner avec les copains ? Si cela semble désuet aux premiers abords, il se cache derrière ce système quelque chose de beaucoup plus profond.
En effet, le héros évolue en fonction de ses statistiques sociales. Lire des livres fantastiques augmentera votre courage, tandis que nettoyer le sol du café qui vous héberge augmentera votre gentillesse. En fonction de ces niveaux (trop faibles ou suffisants), certaines actions vous seront interdites ou certaines scènes ne se passeront pas comme prévues.
Puis, la seconde phase, celle des « Voleurs Fantômes« . Dans ces temps-là, vous partez pour le Métavers et combattez des Personæ (nom des ennemis) à la chaîne pour vous entraîner et voler le cœur des adultes corrompus. Ces phases-là reprennent les codes du J-RPG classique. D’une fluidité et d’un dynamisme sans égal pour le moment, les combats sont ultra-jouissifs et vos actions sociales tendront à améliorer ce système au fil de la partie. Le game-design est d’une beauté à tomber par terre. On retrouve toujours cette dualité « Rouge/Noir » qui apporte un charme certain.
Persona 5 propose l’un des meilleurs système de combat au tour par tour, d’une fluidité et d’un dynamisme sans égal.
Car oui, les deux séquences abordées ci-dessus s’entremêlent étroitement. Lorsque vous vous liez d’amitié avec un personnage, celui-ci devient un « confident ». Travailler cette relation vous autorisera des actions supplémentaires. Voyez cela comme suit. Le titre vous fait commencer avec un nombre énorme d’interdictions et de règles oppressantes. Au plus vous vous lierez d’amitiés avec d’autres personnes qui partageront votre sens de la révolte, au plus ces règles s’effaceront progressivement jusqu’à faire de vous un être puissant. Ainsi va le message du jeu : la révolte devient plus facile à plusieurs. De fait, le jeu punit donc de rester solitaire.
Vous aurez donc l’équivalent d’une année scolaire (du mois d’avril au mois de mars de l’année suivante) pour gérer votre aventure et découvrir tous les secrets que peut vous offrir le titre. Et autant le dire tout de suite, le contenu proposé ici est colossal et sera difficilement appréciable en une seule partie. N’ayez crainte, le New Game + propose son lot de petites nouveautés pour donne renvie de repartir.
Ce qui fait l’excellence du titre repose en grande partie sur la direction artistique et la bande-son (pure merveille) qui parviennent à animer et donner une vraie vie à ce Tokyo virtuel. On nous propose ici d’assister à des « petits bouts de vie », à un quotidien plutôt classique. Toutefois, cette proposition est faite avec tant de savoir-faire et tant de maîtrise que l’on ne peut s’empêcher de succomber à l’appel. Car c’est aussi cela qui fait le charme du titre : il ne cherche pas à être dans l’excès. Il ne cherche pas à être en concurrence avec les grosses pointures en termes de graphismes, de réalisme ou que sais-je. En revanche, il cherche à être « intense« . Et cela, on ne peut pas lui enlever.
Il ne faudra pas négliger les études, sans quoi on vous tombera dessus. Le game-design est une des grandes forces du titre.
Mais alors, ce titre est parfait, il ne possède donc aucun défaut ? Vous vous en doutez, le jeu possède bien sûr ses petits travers. À commencer par un nombre absolument dingue de lignes de dialogues. Le jeu est bavard… Très bavard. Et si cela est tout à fait acceptable dans un jeu de cet acabit, il faut admettre que certaines situations ou pans de jeu auraient gagner à être plus concis. Il faut donc aimer lire énormément, tenez-vous le pour dit. D’autant que, comme cité plus haut, la traduction française se veut parfois imparfaite, que cela soit dans certaines fautes d’orthographes ou certains signes de ponctuation. Parfois même, le calibrage du texte est mal dosé, ce qui fait que les lignes de dialogues sortent purement et simplement de la boîte de dialogue.
Rassurez-vous, ce n’est en soi pas gênant, et il faut se souvenir que Persona 5 Royal est le premier à être traduit en français. Cet effort de la part de l’éditeur excuse donc en partie ces petits travers. Il va de soi que cela passera moins sur les opus suivants.
C’est donc une réflexion sur la société que le titre nous narre. Sur l’humain aussi. Le titre tente de poser une critique de notre monde, à nous, les joueurs et joueuses. Ainsi, ce n’est pas un hasard si les ennemis, les « Personæ » (autre personne) viennent tous en réalité des mythologies de notre monde. Lire le compendium du jeu est une source incroyable d’informations sur les mythes et légendes du monde entier.
Que dire en conclusion ? C’est plutôt ému que je termine cette critique d’un titre qui a clairement changé quelque chose en moi. De ce que j’attends d’un jeu, de comment je l’appréhende, de ce que je recherche… Bref. Persona 5 Royal n’est pas « juste » un J-RPG audacieux qui se place aujourd’hui comme une référence. C’est également une oeuvre traitant de contextes sociaux, politiques et culturels très durs. Esclavage, harcèlement sexuel, corruption, meurtres… Que sont des lycéens face à tant d’injustices ? En clair, sachez que le titre d’Atlus, véritable pépite d’inventivité et de scénarisation, plaira à celles et ceux qui recherchent un excellent J-RPG. Il plaira aussi à celles et ceux qui recherchent une réflexion sur le sens de la justice et des problématiques sociales actuelles. Il y aura clairement un avant et un après Persona 5. On le disait déjà en 2017, on l’a dit en 2020 et on le redit encore en 2022 : Persona 5 Royal est une œuvre magistrale qui mérite d’être dans toutes les ludothèques, peu importe le support.